Que faire de la seconde moitié de sa vie ?

Publié le par Orgris

La crise d'adolescence est un sujet de prédilection des psys. Les rayonnages des librairies regorgent d'ouvrages sur cette période délicate. Mais il est une autre étape, parfois difficile à franchir. Ses contours sont assez flous : approximativement entre 45 et 55 ans. Elle peut prendre les allures d'un véritable tsunami, d'une remise en question moins brutale ou d'un malaise insidieux.

A défaut de pouvoir la situer précisément, les spécialistes l'appellent la crise du milieu de la vie. Elle frappe au hasard. Même les gens qui "ont tout pourêtre heureux". Comme Béatrice (les prénoms ont été changés, les personnes souhaitant conserver l'anonymat), mariée, 48 ans, deux enfants, libraire, qui dit aller "super-bien" mais fond en larmes chaque matin, à l'abri des regards, résistant à ce mouvement intérieur qu'elle ne comprend pas.

Christophe Fauré, psychiatre, psychothérapeute, auteur d'un livre récent sur la question (Maintenant ou jamais, éd. Albin Michel, 280 p., 16 euros), préfère parler de "période de transition". "Nous avons de nombreux clichés sur cet épisode de l'existence, analyse-t-il. On imagine le quinquagénaire quittant subitement femme et enfants pour se jeter dans les bras d'une jeune femme de vingt ans sa cadette, le business man stressé qui démissionne sur un coup de tête pour faire le tour du monde en voilier, ou la mère qui s'effondre face au nid vide après le départ du dernier enfant. Mais il s'agit d'un processus naturel qui n'engendre pas nécessairement une crise. Pour la majorité d'entre nous, les transformations qui surviennent sont subtiles, profondes et intimes."

Ceux qui font des changements radicaux ont, parfois, des réveils difficiles. Comme Alexandre, marié, père de famille, habitant un bel appartement, qui, à la suite d'un licenciement économique à 48 ans, a quitté sa femme et est parti sillonner le monde pendant dix-huit mois, "à la recherche d'un nouveau souffle", dilapidant sa prime de licenciement. De retour de voyage, il se retrouve sans emploi. "Personne ne veut de moi, me voilà candidat à la création d'entreprise pendant le jour et connecté à des sites de rencontres le soir. Comme ça ne marche pas non plus, il me reste une dernière option : mettre ma tente dehors et devenir un "indigné"."

Agir impulsivement, sur un coup de tête, n'est pas conseillé et mieux vaut réfléchir à deux fois. Pour Françoise Millet-Bartoli, psychiatre, psychothérapeute, auteur de La Crise du milieu de la vie, une deuxième chance (éd. Odile Jacob, 2006), "certains vont marsuer leurs angoisses en essayant de profiter au maximum de la vie, frénétiquement, et faire table rase du passé, analyse-t-elle . Il est préférable de voir ce qu'il est possible de  changer sans casser ce qu'on a construit ni détruire son entourage."

C'est l'heure des bilans et chacun se demande, conscient que le temps est compté, ce qu'il a envie de faire du reste de sa vie. Car cette transition de milieu de vie s'apparente à une crise existentielle. Carl Gustav Jung, psychanalyste suisse (1875-1961), est le premier à l' avoir identifiée. Il l'a décrite comme "un processus d'individuation", un processus de croissance, potentiellement source d'enrichissement intérieur. On a passé la première moitié de sa vie en se construisant - par rapport aux injonctions extérieures, de la famille, du milieu professionnel, des attentes de la société - au détriment de certaines dimensions de soi et l'on ressent soudain un sentiment d'incomplétude. Qu'a-t-on fait de sa vie ? A-t-on fait les bons choix ?

La première moitié de son existence a souvent été consacrée à construire sa carrière, à s'occuper de ses enfants, sans vraiment se poser de questions. "Arrive un moment où on prend conscience de la finitude de l'existence. Les gens qui viennent me voir sont mal dans leur vie. Ils ne savent pas vers quoi se diriger. Je les aide à s'interroger sur ce qu'ils ont en eux et qu'ils n'ont pas encore exprimé. Ils trouvent en eux-mêmes un potentiel de créativité, pas forcément artistique, un loisir, un engagement politique ou associatif", poursuit Françoise Millet-Bartoli.

Ces virages de l'existence passent par un questionnement nécessaire qu'il est contre-productif de vouloir éviter. Jacques, 53 ans, n'a ressenti aucune crise intérieure jusqu'au jour où son entreprise lui a fait sentir qu'il était inutile et l'a mis sur la touche. C'est son identité sociale qui s'en est trouvée fragilisée. Grâce à l'aide de sa femme, il a pu réorienter sa vie et retrouver la confiance perdue. Il travaille toujours dans la même entreprise mais fait partie, depuis deux ans, d'une association de lecteurs dans une librairie. "Cela m'a permis de me réconcilier avec moi-même. On se dit qu'on n'est pas encore nul et que l'on peut servir à la société. En effet, lire, c'est aussi rencontrer et surtout parler à des gens, s'intéresser aux autres,retrouver convivialité et équilibre qui donnent une nouvelle perspective de vie." Il suit des ateliers d'écriture qui, dit-il, ont débloqué quelque chose. Du coup, il écrit des articles pour des petites revues et se sent plus en harmonie avec lui-même.

Quand on se sent mal dans sa vie, on a vite fait de désigner le travail comme le responsable de ses maux. Ce peut être vrai mais pas toujours. "J'ai suivi une dame qui n'en pouvait plus de son métier d'infirmière, qu'elle avait pourtant aimé, analyse Christophe Fauré. Finalement elle s'est investie dans le chant de manière semi-professionnelle, elle y a pris beaucoup de plaisir et elle s'est rendu compte que son travail était une grande source de satisfaction." Le partenaire peut être aussi le bouc émissaire rêvé : on vit avec cette personne tous les jours, elle doit bien y être pour quelque chose. "Nous chargeons parfois notre couple d'attentes inconsidérées comme celle de demander à son partenaire qu'il répare les blessures du passé ou qu'il vous garantisse une sécurité émotionnelle. Nous lui en voulons de ne pas y répondre. C'est faire fausse route : ces projections et attentes doivent impérativement être questionnées lors de la transition du milieu de vie", poursuit le thérapeute.

Lisbeth von Benedek, psychanalyste et psychologue clinicienne, auteur de La Crise du milieu de vie : un tournant, une seconde chance (éd. Eyrolles, 2010), se souvient d'une femme qui avait toujours été dévouée à son mari, artiste. "Un beau jour, elle est devenue très agressive à son égard, elle était très en colère contre lui", explique la thérapeute. Il avait gâché sa vie. Elle était très déprimée et lui en voulait. Au terme d'un travail analytique, elle qui, depuis plusieurs années, avait envie d'écrire, a trouvé les ressources en elle pour le faire.

Pour Lisbeth von Benedek, la crise du milieu de vie est une "invitation à une régression momentanée, un chaos potentiellement fertile qui nous invite à chercher en nous ce que nous avions essayé d'obtenir des autres". "C'est une période d'instabilité angoissante, les certitudes commencent à s'ébranler et il est temps de  faire connaissance avec soi-même", conclut-elle.

Logo-Le-Monde-N-B-.jpg, article de Martine Laronche, paru le 05.11.11

 

http://abonnes.lemonde.fr/aujourd-hui/article/2011/11/05/que-faire-de-la-seconde-moitie-de-sa-vie_1599483_3238.html

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