Le précieux apport des seniors

Publié le par Or gris : seniors acteurs des territoires, dans une société pour tous les âges

Aux Etats-Unis, un cabinet comptable parie, à contre-courant des géants du secteur, sur les plus de 60 ans pour gagner en valeur ajoutée

« Je ne joue pas au golf et je n’ai pas de maison en Floride », avoue Larry Baye, 64 ans. L’expert-comptable, ancien partenaire de grands cabinets de conseils (Deloitte, KPMG, Ernst & Young, PwC…), ne se voyait pas s’installer si tôt dans une retraite heureuse. Ce n’était pas vraiment son style. Alors M. Baye a soigné sa hernie et est allé proposer ses services à un chasseur de têtes. Ce professionnel l’a aidé à rafraîchir son CV, ce qu’il n’avait pas fait depuis trente-quatre ans. Et il l’a présenté aux dirigeants de PKF O’Connor Davies – un cabinet comptable de sept cent cinquante personnes sur la Côte est des Etats-Unis, qui recrute des seniors. Depuis deux ans, M. Baye y travaille trois jours par semaine.

« Je ne vais pas recruter dans les maisons de retraite, plaisante Christopher Petermann, l’un des associés du groupe. Mais disons que nous ne tenons pas compte de l’âge. Nous gardons un esprit ouvert. » PKF O’Connor Davies se veut plus flexible que les géants du secteur, les Big Four de la comptabilité, qui ont fixé un départ obligatoire à la retraite entre 60 ans à 65 ans pour faire de la place aux jeunes recrues et être capables de leur offrir une belle progression de carrière, les meilleurs devenant associés et actionnaires du cabinet.

Chez PKF O’Connor Davies, les plus de 66 ans n’ont pas le droit non plus de posséder des parts dans la société. L’entreprise qui parie sur les seniors a, elle aussi, besoin de cette « carotte » pour attirer les jeunes. Il faut leur faire miroiter un avenir lucratif : avec la promesse d’être un jour « propriétaires » de la maison.

« Panthères grises »

Mais la compagnie aime avoir à sa disposition des « panthères grises ». Une quinzaine d’employés à temps partiel qui permettent de développer de nouvelles affaires et servent de mentors à leurs collègues. « C’est tout simplement une bonne stratégie, juge M. PetermannNous ne travaillons pas à la chaîne. Si l’esprit reste vif, il nous apporte de la valeur. » Le plus ancien cadre est âgé de 86 ans. M. Baye, lui, savoure sa seconde carrière. Il n’est pas là pour dévorer les autres, mais pour continuer à apprendre. « J’ai déjà été associé, avoue-t-ilJe ne cherche pas à être promu, et le titre m’indiffère. » La qualification de « principal » lui suffit. Il n’est pas là non plus pour braconner sur les terres de son ancien cabinet. Une clause de non-concurrence lui interdit de prendre contact avec ses anciens clients.

Ce qui l’intéresse, c’est de développer la branche consultants. Le comptable est expert en détection des risques : nourriture contaminée, absence de financements, dégâts des tempêtes… Il sait identifier ces risques et comment les diminuer. Chez son nouvel employeur, il a rencontré d’autres interlocuteurs et abordé des secteurs d’activité différents. « Ici, dit-il, on travaille avec des entreprises plus modestes ». « C’est ainsi que j’ai découvert le système judiciaire. J’ai aussi été en contact avec une association qui m’a permis de comprendre le fonctionnement des subventions pour des personnes à faibles revenus. Je suis à nouveau étudiant, se félicite-t-il. Cela me rappelle mes années universitaires, lorsque je passais mon MBA. »

Porteurs d’idées nouvelles

Alfred Fiore, lui aussi salarié de PKF O’Connor Davies, a 70 ans et des poussières (il n’en dira pas plus). L’ancien étudiant d’Harvard, qui a travaillé à Paris et à New York, était un rainmaker chez KPMG. Un vrai apporteur d’affaires. Il en a gardé un très bon carnet d’adresses avec d’excellents contacts des deux côtés de l’Atlantique. « Alfred nous ouvre des portes qui, sans lui, seraient restées fermées », assure M. Petermann. Ses vieux amis de KPMG lui envoient des clients potentiels. Il sait renvoyer l’ascenseur. Il peut aussi donner de précieux conseils lorsqu’une entreprise cliente de PKF O’Connor Davies rencontre des difficultés à l’international. Et comme il a suivi en France les affaires de Revlon, les PME américaines dans l’industrie des cosmétiques apprécient son savoir-faire.

Les seniors sont porteurs d’idées nouvelles. Grâce à M. Fiore, PKF O’Connor Davies peut dorénavant proposer à ses clients la mise en place d’un projet d’actionnariat des salariés dans l’entreprise, lancé il y a trois ans sous le nom d’ESOP (Employee Stock Ownership Plan).

Enfin, les « vieux sages » savent partager leur savoir-faire avec leurs jeunes collègues« J’ai envie de les aider à réussir, assure M. Baye. Pour moi, ces gens ne sont pas que des heures à facturer. Je peux être utile et leur montrer, par exemple, comment travailler en équipe ou comment vendre une affaire. » En deux ans, le vétéran n’a pas encore pu former un associé. Mais une de ses collègues vient d’être promue senior manager, et il croit l’y avoir aidée.

Selon le National Bureau of Economic Research, 60 % des retraités retourneraient volontiers au travail si on leur proposait des horaires souples, parce qu’ils en ont financièrement besoin ou qu’ils ont envie de rester actifs.

 

Publié dans LE MONDE du16.03. Par  Caroline Talbot (New York, correspondance)


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