Bien négocier la dernière étape avant la retraite

Publié le par Or gris : seniors acteurs des territoires, dans une société pour tous les âges

Partir, rester, ralentir… de nombreuses possibilités s’offrent désormais aux seniors pour gérer au mieux leur fin de carrière tout en préparant leurs vieux jours.

 

« C’est décidé. » Catherine compte partir à la retraite à 60 ans, précisément le 1er janvier 2020. Entrée dans la vie ­active à 18 ans, elle est éligible au départ anticipé pour carrière longue. Cette commerciale de la banlieue lilloise a pris les devants – elle a déjà vérifié auprès de sa caisse qu’elle avait bien droit au dispositif et fait corriger les erreurs de son relevé de carrière, consulté sur Internet.

Des démarches, Jean-Luc, cadre dans une société de services parisienne, n’en a de son côté entreprises aucune. S’il sait qu’il pourrait partir en mai, à 62 ans, il n’en a nullement l’intention et il faudrait une belle incitation de son entreprise pour le faire changer d’avis. Tout le ­contraire de Lys, 58 ans, à l’affût d’une possibilité de préretraite ou de rupture conventionnelle afin de prendre le large avant l’âge. Quant à Marie-Paule, 61 ans, cela fait un an qu’elle a débuté sa ­ « retraite progressive » dans sa société d’assurance : elle travaille à 60 %, du mercredi au vendredi, et reçoit 40 % de ses pensions. Roger, 66 ans, est lui aussi à temps partiel, mais via un « cumul emploi-retraite ». A 60 ans, il a démissionné de son poste de directeur dans une TPE pour signer un nouveau contrat le lendemain dans la même société. Il touche ­intégralement sa retraite, à laquelle s’ajoute son salaire. A 59 ans, Eric est, lui, en préretraite et touche 75 % de son brut en attendant sa retraite, en 2018.

 

Six histoires, six situations de départ à la retraite
Six histoires. Un échantillon de l’hétérogénéité des situations face à la décision de départ à la retraite. Cette diversité n’est pas nouvelle mais s’est accentuée avec ce que la sociologue Anne-Marie Guillemard nomme la « déstandardisation » des parcours de vie. « A un même âge, les personnes sont généralement dans des situations très différentes, avec des aspirations diverses, ce n’était pas autant le cas quand les parcours ­familiaux et professionnels étaient plus standardisés », analyse cette spécialiste des générations.

Passionné par son métier, Jean-Luc mène une « vie professionnelle agréable ». Il se sent certes parfois fatigué, mais s’est « organisé » et peut désormais gérer son temps de travail comme il l’entend. Evoluant au quotidien avec des trentenaires, il n’est en outre « pas prêt intellectuellement àentrer dans la catégorie des “vieux” et [se] retrouver dans une université du temps libre entouré de personnes âgées ». Mais, surtout, renoncer à 50 % de ses revenus et au train de vie qui va avec lui semble inconcevable pour l’instant. « Je veux continuer à aller au restaurant sans me poser de questions », dit-il. L’idée de perdre ses contacts ne le réjouit guère non plus. Et puis son épouse « a encore quelques années d’activité » N’empêche, si son entreprise lui proposait un gros coup de pouce pour partir, il y réfléchirait.

« Pourquoi attendre ? »

Catherine voit les choses autrement. « J’ai envie de profiter un maximum de la vie. Même s’il me faut perdre plus vite 30 % de mes revenus. C’est tout de même une sacrée contrainte, le boulot ! Etre bloquée toute la semaine… Il y a un âge où on l’accepte moins facilement. Un âge, aussi, poursuit-elle, où il est plus difficile d’être passionnée par son travail. Il y a toujours des évolutions informatiques, ils nous changent tout, sans cesse, et j’ai moins ­envie de faire des efforts alors qu’il me reste une poignée de trimestres. En outre, ce n’est pas motivant d’avoir un mari ­retraité. Et comme partir à 60 ou 62 ans ne fait pas une grosse différence sur mes pensions, pourquoi attendre ? » Ce qui pourrait l’inciter à rester un peu ? « Si j’apprends que la boîte va licencier : la prime de licenciement est plus intéressante que celle de retraite. » Quant à Roger, il se plaît dans son entreprise, l’ambiance est bonne. Mais s’il est resté, c’est d’abord pour des raisons financières. « Toucher salaire plus retraite me permet de mettre de l’argent de côté. Je suis angoissé de ­nature, j’ai toujours peur de manquer. Sans compter que, quand j’ai pris ma décision, mon épouse, de 21 ans ma cadette, venait de créer un commerce. »

« Une date de départ est un cocktail d’affectif et de raisonné », résume Marc Darnault, associé au cabinet de conseil Optimaretraite. Pour les seniors ayant un choix à opérer (c’est loin d’être le cas de tous, beaucoup n’ayant plus d’emploi à leur départ à la retraite), la décision de partir, continuer ou lever le pied est le fruit d’un arbitrage entre de multiples considérations, de quatre natures : les aspirations personnelles, les contraintes, l’impact sur les pensions et l’attitude de l’entreprise.

Au sein des aspirations, l’envie de partir ou rester, la situation de l’éventuel conjoint est cruciale. « Nos clients raisonnent couple », note M. Darnault. Tout comme l’état de santé. Et la façon dont le travail est vécu. Avoir des projets clairs pour sa retraite, ou non, est aussi souvent central dans la décision. Garder ses petits-enfants, perfectionner son swing, présider une association ou voyager sont autant de projets récurrents. Etre ou non bien entouré est un facteur accélérateur ou un frein ; difficile d’imaginer rendre son tablier quand sa vie sociale se joue au travail.

D’autres motivations personnelles sont presque inconscientes mais tout autant décisives. Il y a les considérations psychologiques. Son rapport à l’argent, au temps. Sa représentation du travail, et l’image que chacun a de la retraite. « Cette perception de la retraite, qui pèse lourd dans la décision, dépend de comment vous voyez vos proches vivre leur propre retraite », détaille le sociologue Serge Guérin. L’âge de l’entourage ­influence aussi : « On n’a pas le même rapport à la retraite si on évolue avec des personnes plus âgées. »
 

Face aux envies, les incontournables contraintes. Contraintes auxquelles les seniors actuels peuvent être davantage confrontés que leurs aînés en raison des évolutions démographiques, sociétales ou économiques, comme l’augmentation des remariages tardifs, les difficultés des enfants à trouver un premier emploi, la hausse de l’espérance de vie. Il y a les obligations financières que les seniors ont conservées, un enfant ou un parent à charge, ou encore un crédit. Et les ­contraintes familiales, lorsqu’il faut ­ralentir ou s’arrêter pour s’occuper d’un conjoint ou d’un parent malade.

 

Chiffres clés

62,4 ans. Age moyen de départ à la retraite au régime général en 2016 - 62,1 ans pour les hommes, 62,7 ans pour les femmes.

54 % des départs à la retraite ont eu lieu entre 61 et 64 ans au régime général en 2014, 21 % à 60 ans ou avant, 25 % à 65 ans ou après.

27 % des retraités 2016 du régime général sont partis avant l’âge légal pour carrière longue, dont 66 % d’hommes.

11 500 retraites progressives ont été attribuées par le régime général en 2016 (70 % à des femmes), contre 3871 en 2015.

-> 478 000 personnes cumulaient fin 2016 emploi et retraite, soit 3,4 % des retraités (42,3 % sont des femmes).

-> 14 % de ceux qui ont pris leur retraite au régime général en 2016 ont bénéficié d’une surcote ; 9 % ont en revanche subi une décote.

Bien négocier la dernière étape avant la retraite

La responsabilité de l’entreprise

De même, l’attitude de l’entreprise pèse forcément lourd dans la décision de ­départ à la retraite. La façon dont elle traite ses seniors et aménage leurs postes. Comment ils peuvent atterrir en douceur. « Ce qui joue aussi beaucoup, c’est la phase où en est l’entreprise, complète Jean-François Foucard, secrétaire national CFE-CGCLors de transformations technologiques lourdes, les seniors sont moins motivés, ils peinent à s’investir, ­sachant qu’ils verront peu, voire pas du tout, le fruit de leurs efforts. » Les possibilités de lever le pied sont plébiscitées par les seniors, mais les entreprises sont parfois réticentes, les temps partiels compliquant leur organisation. « En France, l’employeur n’est pas obligé d’accorder un temps partiel à un senior, alors qu’en Belgique le “crédit-temps” est un droit », souligne Jacques Wels, enseignant-chercheur à l’Université libre de Bruxelles et à l’université de Cambridge« J’ai demandé une retraite progressive, mon employeur m’a expliqué que s’il me disait oui, il devrait le faire pour d’autres », se souvient Monique, ex-assistante d’exploitation. Marie-Paule a eu plus de chance : son ­employeur a accepté. « Ça a été une véritable bouffée d’oxygène. Je me sentais mal dans mon travail. Sans cette retraite progressive, c’était le burn-out. »

Ceux qui souhaitent partir avant le taux plein, voire avant l’âge légal, ou juste ralentir, sont confrontés à deux types de situations : soit un accord bien ficelé a été négocié dans l’entreprise et ils peuvent profiter des outils qui y ­figurent, en toute transparence, soit ils devront négocier individuellement pour jouir des dispositifs existants. Certains joueront cartes sur table, d’autres au chat et à la souris des mois durant. Le résultat du rapport de force dépendra de l’intérêt qu’a l’employeur à se séparer du senior« Toute une palette d’outils peut être mise en œuvre, comme la dispense d’activité (encore appelée “préretraite maison”), le financement de ­rachat de trimestres, l’abondement du compte épargne-temps (CET) pour un congé de fin de carrière, la majoration de la prime de retraite, des conditions favorables pour les retraites progressives et les temps partiels seniors », énumère Max Barbier, codirecteur de l’activité Retraites et Investissements de Mercer France« Le mieux pour le salarié ­demeure les préretraites, encore proposées par certaines grandes entreprises, estime M. FoucardSi on vous donne trois ans de votre vie payés 70 % de votre salaire, en dehors de ceux qui ont encore des enfants à charge, seuls quelques passionnés refusent. D’autant que cela permet de partir avec une meilleure estime de soi, ce qui est plus difficile si vous ­devez passer par Pôle emploi. »

Dans les entreprises qui ne gèrent pas les fins de carrière, le recours à la rupture conventionnelle reste fréquent. « J’ai vu beaucoup de collègues seniors partir ainsi, témoigne Salvador, ancien responsable technique dans l’industrie. A ceux considérés comme des boulets, des chèques parfois monstrueux ont été proposés. Certains étaient ravis, d’autres le traînent encore comme un échec des années après. » Salvador, lui, a demandé sa rupture conventionnelle. « C’était le ras-le-bol, mon travail n’était plus ce qu’il était. L’idée de devoir passer mes dernières années à licencier les gars avec qui j’avais travaillé toute ma carrière et à mettre la pression aux jeunes était ­invivable. Au début, ils ont refusé. Je me suis mis en arrêt et j’ai finalement pu partir un an avant l’âge. J’avais fait mes calculs, je savais que, même si je n’avais que la prime normale  je ne pouvais bien sûr pas négocier , elle compenserait presque la différence entre salaire et chômage. C’était suffisant. Il faut se demander à combien on estime un an de sa vie… » Avant une rupture conventionnelle, mieux vaut en effet s’assurer de son avenir financier. Deux risques principaux : partir trop tôt et se retrouver en fin de droits au chômage avant sa retraite ou son taux plein, et perdre sa possibilité de départ anticipé pour carrière longue (seuls quatre trimestres de chômage comptent dans ce dispositif).


En matière de retraite, rien n’est simple !
Quoi que l’entreprise propose, et quelles que soient vos aspirations, il reste à connaître l’impact de votre choix sur le montant de vos pensions. En gardant en tête qu’en matière de retraite rien n’est simple ! L’incidence d’une retraite progressive, d’un cumul emploi-retraite ou d’une période de chômage varie selon les cas. Prolonger votre activité peut ­doper vos pensions, comme n’avoir qu’un effet minime. La faute aux règles si complexes de calcul des retraites. ­Encore faut-il être bien informé.

 

Des progrès considérables ont été ­accomplis et une foule de détails sur son dossier retraite est désormais envoyée par courrier ou consultable en ligne. « N’empêche, les salariés que nous rencontrons sont toujours perdus, témoigne Dominique Prévert, dont la société, ­Optimaretraite, réalise des bilans retraite individuels dans les entreprises. Ils ne prendront leur retraite qu’une fois et craignent de faire une bêtise. Ils ont raison, l’enjeu est crucial et ils n’ont pas forcément les moyens d’interpréter les ­informations auxquelles ils ont accès pour prendre les bonnes décisions. » Les documents que vous pourrez consulter ne vous diront par exemple pas si vous avez droit au départ anticipé pour carrière longue.

En 2013, Philippe, architecte, a d’ailleurs bien failli passer à côté de sa retraite à 60 ans. « Trois mois avant de partir, je ne savais pas que je pouvais, je n’avais pas ­vérifié. Je ne savais pas que mes boulots d’été m’avaient apporté des trimestres. C’est ma femme qui y a pensé à la dernière minute. » Les salariés pouvant bénéficier, par leur entreprise, d’un bilan personnalisé ont une longueur d’avance. Les autres devront prendre leur retraite à bras-le-corps pour chercher l’option collant le mieux à leurs aspirations, leurs contraintes et leur sacro-saint nombre de trimestres. Avant de prendre toute ­décision irréversible.

 

Lexique

Age légal : âge minimum pour toucher sa retraite de base. Désormais 62 ans.

Pension à taux plein : pension accordée sans décote, en règle générale à l’âge du taux plein automatique (entre 65 à 67 ans) ou quand le nombre de trimestres requis est atteint.

Surcote : majoration de pension de base accordée à ceux qui continuent à travailler alors qu’ils ont l’âge légal et les trimestres requis.

Décote : abattement appliqué au taux de liquidation de la pension si le partant ne répond pas aux conditions du taux plein.

Départs anticipés : dispositifs permettant de partir avant l’âge légal. Le plus fréquent est le « départ anticipé pour carrière longue », pour ceux qui ont commencé à travailler tôt (à certaines conditions).

Retraite progressive : dispositif permettant de travailler à temps partiel en touchant une fraction de ses pensions, à partir de 60 ans

 

LE MONDE ARGENT |  05.12.2017  Par  Aurélie Blondel

 

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